La Guerre
Ils étaient par cargos des bidasses de tous bords
En habits vert kaki, en alliages de fer
Défendant par fierté un drapeau sanguinaire
Ensemble ils avançaient vers une horrible mort
Ils étaient par centaines, multipliés par deux
Car en face ils avaient pour aussi moches qu’eux
Une armée de conscrits de la contrée voisine
Et leurs canons teigneux pour protéger leurs lignes
J’étais au mirador en spectateur, je vis
Ceux qui bravaient l’effort inhumain du combat
Ceux qui suçaient la terre aux saveurs de tabac
Muni d’un appareil je pris photographie
D’un éclat de remord dans les yeux d’un p’tit gars
Lui qui jurait tantôt d’étriper ces chiens là
Des soldats bien rangés partis à l’aventure
En un éclair seulement il n’en resta qu’un tas
Dans un fracas sans nom l’orchestre leur joua
Le coup des sanglots longs des violons de l’automne
Ils empoissaient le souffre, la poudre, la friture
Leurs tripes dégueulasses sur l’atroce parquet
S’aplatissaient - Les mouches allaient se requinquer
Dans l’âcre odeur de sang, de sueur, de charogne !
De ma tour solitaire je suivais, je filmais
La mollesse des corps, l’extrême nudité,
Les plaies et les décès et leurs subtilités
J’avais vision dés lors au-dessus du charnier
Les destins déroulaient d’en haut comme des cordes
Sous les griffes acérées des dragons de discorde
- Ils ont vingt ans, trente ans, démolis par la haine
Un trou dans l’abdomen, un bras qui se promène
Leurs espoirs décimés sur l’échiquier sanglant
Sombrent dans la furie -Héroïques et violents !
Et les plus terrifiés seront les survivants !
Car ce n’est pas de vin qu’on les a arrosés
L’eau qui tâche le sol, ce n’est pas la rosée
Mais la larme qu’un père adresse à son enfant
Sur le champ de bataille : explosions de ferrailles
Bombardements aveugles, missiles, mitrailles
Pendant qu’hurlent les tanks au cor des funérailles
Dans l’infinie quiétude qu’on accorde qu’aux morts
Y’en a plein qui supplient qu’on leur règle leur sort
Les cadavres encore chauds se ramassent à la pelle
On dirait que le Diable en personne s’en mêle
Y a comme un rire crispant qui siffle entre les balles
Et les psaumes d’effroi viennent s’en prendre au ciel
Et les mille voix d’anges s’entrechoquent entre elles
J’étais au purgatoire, on s’y accumulait
Le cotonneux nuage attendrissait l’ambiance
Les tortures endurées avaient moins d’importance
Rien ne serait pareil : Cela fut entendu
Plus de couteaux dans l’dos, finis les coups tordus
Devrait-on justifier chacun de ses méfaits ?
Pendant que sur la Terre les autres s’égorgeaient !
Faisant place au silence : Un murmure affolé
Les ennemis unis dans la même impatience
Commençaient à maudire leurs présentes angoisses
Lentement languissait l’intenable rumeur
- Couplet trois fois maudit de la réalité -
Les âmes ressentaient comme une pesanteur
D'avoir pu perpétrer autant de cruauté
Y a ceux qui répondaient : Rien à me reprocher
Y’avait un pauvre gars à qui on a dit : Tue !
Y’avait là un infirme qu’avait pas combattu
Qui tenait sa conscience entre ses mains tâchées
Y’avait un général pour mille deux cent tondus
Qu’était bêtement cané le nez dans ses papiers
- D’une attaque cardiaque –
J’étais au purgatoire et ils se disputaient
A savoir qui étaient les premiers à tirer
Qui seraient les derniers et les traîtres pendus
Sur ces paroles amères on les a enterrés
Décorés méritants des posthumes médailles
Espérons que les cieux aient un peu de pitié
…